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Elles – Women Composers, partenaire de l’Académie Jaroussky


21 novembre 2024

L’Académie Musicale Philippe Jaroussky a fait le choix de mettre en avant les compositrices, que ce soit à travers le nom de la promotion des Jeunes Talents 2024/2025, “Lili et Nadia Boulanger”, ou par son concert du 20 décembre à la Seine Musicale, “Soir d’hiver : les compositrices à l’honneur”.

Pour être guidée et permettre aux Jeunes Talents de bénéficier d’un vrai éclairage sur cette thématique, nous sommes heureux de vous annoncer notre partenariat avec Elles – Women Composers.

Elles – Women Composers : une association engagée

Elles – Women Composers est une association qui œuvre pour la promotion et la diffusion de la musique écrite par des femmes. Fondée par Héloïse Luzzati, cet organisme mène de nombreuses actions pour faire connaître les compositrices : organisation de concerts, édition de partitions, création de ressources pédagogiques, etc.

“ L’association a pour ambition d’identifier et de diffuser les œuvres des compositrices passées et contemporaines. ”

Héloïse Luzzati : une passion pour les compositrices

Héloïse Luzzati nous a fait l’honneur de répondre à nos questions, sur son propre parcours, sur la création d’Elles – Women Composers, sur les défis et les missions de cette association.

Pourquoi avoir créé Elles – Women Composers ?

Avant d’être la fondatrice de Elles – Women Composers, je suis d’abord violoncelliste. Vers l’âge de trente ans, j’ai eu une prise de conscience : en vingt-cinq ans de pratique instrumentale, je n’avais jamais joué ni étudié d’œuvres de compositrices, si ce n’est sur une initiative personnelle.

Pour justifier cette invisibilité, un argument récurrent : c’est parce qu’elles n’ont pas composé de chef-d’œuvre… Mais pour beaucoup, leurs œuvres n’étaient alors ni jouées, ni enregistrées, ni même éditées : comment aurait-on pu juger de leur qualité ?

Un tournant s’est opéré pour moi en 2020, pendant l’épidémie de COVID-19. Le confinement a mis un coup d’arrêt à mon activité de violoncelliste et j’ai eu tout à coup beaucoup de temps libre… C’est à ce moment-là que j’ai commencé à fabriquer de petits documentaires sur les compositrices et à les mettre en ligne sur YouTube.

Quelques mois plus tard, alors que les festivals avaient tous été annulés, il y avait de l’espace pour créer de nouveaux projets, sans que j’en aie une conscience éclairée. Ainsi se sont lancés consécutivement le Festival Un Temps pour Elles et la première édition du Calendrier de l’Avent de La Boîte à Pépites. Elles – Women Composers était née.

Quels sont les enjeux de votre démarche ? Quels en sont aussi les défis ?

Nous avons publié il y a quelques mois une étude portant sur toute la saison 2022-2023, qui compile les programmations de quasi toutes les salles de concert et festivals en France. Nous avons grâce à cette étude que seules 6,4 % des œuvres de musique classique programmées en rance sont composées par des femmes. En temps de programmation, le chiffre chute à 4 %.

Notre principal enjeu est donc de faire évoluer les programmations pour qu’elles incluent davantage de compositrices, car ces chiffres ne rendent pas justice à la richesse du répertoire existant.

L’Association a pour mission d’identifier et de diffuser ce répertoire, donc à la fois d’élargir le corpus des œuvres connues de compositrices et de les faire jouer, soit dans le cadre de nos propres actions, soit dans le cadre de la saison de nos partenaires. Aujourd’hui, l’un de nos principaux objectifs est donc de trouver de nouveaux partenaires afin de faire changer les chiffres.

Quant aux défis, ils sont nombreux ! Il y a bien sûr la difficulté de convaincre de la qualité d’œuvres qui n’ont jamais été enregistrées, et qu’on ne peut donc pas écouter… Pour cela, nous organisons des séances de lectures qui nous permettent d’entendre les œuvres pour la première fois (parfois même sur manuscrit, à deux pianos pour le répertoire symphonique) !

Un autre de nos principaux challenges est de susciter l’intérêt des spectateurs avec des noms inconnus sur les programmes de concert. Dans certains cas, comme au Festival, qui a lieu dans le Val d’Oise dans des territoires parfois très ruraux, cela peut être compliqué. Et de la même manière, les programmateurs sont parfois réticents à inclure dans leur saison des œuvres méconnues, car ils ont peur de ne pas remplir leur salle.

Mais notre principal défi demeure la question des financements. Le projet s’est monté grâce à du travail bénévole, avec de très longues journées et beaucoup de débrouille, mais j’aimerais aujourd’hui que nous puissions être mieux soutenus, avec des financements transversaux et structurants ! C’est important pour pouvoir construire une équipe – nous avons pour l’instant seulement une personne en CDI – et pouvoir se projeter à long terme.

Comment a été accueillie votre association et sa démarche ?

J’ai eu la chance d’être rapidement bien soutenue par les pouvoirs publics, notamment par la DRAC Île-de-France dès le lancement du Festival. Il y avait alors de l’espace pour créer quelque chose de nouveau, la plupart des structures étant à l’arrêt.

Les musiciens et programmateurs curieux et ouverts d’esprit sont souvent enthousiastes par ce que nous proposons : nous recevons des demandes du monde entier de gens qui demandent des partitions, ou des témoignages d’engouement pour les vidéos ou les disques… En ayant un niveau d’exigence très élevé quant aux œuvres que nous programmons – ne jamais programmer une œuvre parce qu’elle a été composée par une femme, mais parce qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre évincé des programmations car écrit par une femme – et en les confiant aux plus grands interprètes, nous parvenons généralement à convaincre même les plus sceptiques.

Quels sont vos prochains projets ou objectifs ? Nous sommes en ce moment en pleine effervescence de notre Festival digital d’hiver, que nous publions du 1er au 25 décembre sur YouTube et les réseaux sociaux.

Chaque jour, nous proposons une capsule vidéo présentant une œuvre de compositrice et, particularité de cette nouvelle édition, une œuvre d’une femme artiste issue des collections du Musée d’Orsay. Les musiciens sont intégrés directement dans les tableaux, et le résultat est très onirique, avec un lien fort entre musique et peinture !

Ces derniers mois, nous travaillons aussi sur le lancement de notre maison d’édition de partitions. Depuis plusieurs années, nous programmons et jouons régulièrement des œuvres restées à l’état de manuscrits, ou dont les partitions éditées ne sont plus commercialisées.

Remettre les partitions de ces œuvres en vente est indispensable pour permettre à d’autres musiciens de s’en saisir, et ainsi diffuser le répertoire le plus largement possible. C’est également un outil essentiel pour la diffusion aux conservatoires : les professeurs ne feront jamais travailler une œuvre dont la partition ne se trouve pas à la bibliothèque de leur établissement !

Plus largement, la structuration de notre équipe est un travail constant. Nous espérons créer dans les prochains mois deux nouveaux postes en CDI, et accueillir pour la première fois une doctorante dans nos locaux.

Dans votre démarche de recherche rigoureuse, quelle a été pour vous la découverte la plus étonnante ou incroyable ?

Il est difficile d’en choisir une : chaque jour, je fais de nouvelles découvertes, et je ne compte plus les nouveaux noms qui apparaissent sur mon écran. Parfois, je vois apparaître dans un article de journal un nom que je n’ai jamais lu, et je découvre un catalogue de 200 œuvres… Nous sommes très loin de connaître l’étendue du répertoire des compositrices !

Travailler sur le fonds Rita Strohl, précieusement conservé par ses descendants, avec l’autorisation d’André Martinie, son ayant-droit, et en partenariat avec le Palazzetto Bru Zane, a été fabuleux. C’est une artiste protéiforme, qui a écrit aussi bien de la musique de chambre romantique que de la mélodie française au tournant du XXème siècle, et d’immenses cycles lyriques et mystiques dans les années qui ont suivi… Elle a aussi énormément écrit et ses textes sont à la fois étranges et très édifiants sur sa vision de l’art, c’était passionnant. Je suis heureuse que nous ayons pu lui rendre hommage avec la monographie que le label La Boîte à Pépites lui a consacrée.

L’une de mes plus belles découvertes reste cependant la musique de l’incroyable Jeanne Leleu, compositrice qui a eu une carrière extraordinaire (Prix de Rome, commandes d’Etat, jouée à l’Opéra de Paris…) et qui a sombré dans l’oubli alors qu’elle est morte il y a à peine quarante ans. Sa musique a été un coup de foudre et l’enregistrer m’a tout de suite paru indispensable. Nous sommes encore aujourd’hui plongées dans une bataille sans fin pour retrouver son concerto perdu…

Mais je pourrais vous en citer beaucoup d’autres : la merveilleuse musique de Charlotte Sohy, les mélodies de Louise Didier, ou la musique pour violoncelle de Fernande Decruck…

Pourquoi avoir noué cette collaboration avec l’Académie Jaroussky ?

L’Académie nous a sollicitées afin d’enrichir le répertoire étudié par les Jeunes Talents avec des œuvres de compositrices, et ainsi de venir nourrir les programmes des concerts et des masterclass. Ce partenariat doit permettre de faire découvrir du répertoire nouveau aux étudiants, afin qu’ils intègrent progressivement ces pièces à leurs programmes de concerts.

 

Quelle est l’importance de la jeune génération d’artistes (comme les Jeunes Talents de l’Académie) pour la diffusion des œuvres de compositrices ?

L’étude que j’évoquais à l’instant a permis de mettre en évidence l’importance des initiatives individuelles dans les programmations : un musicien ou programmateur engagé suffit à faire évoluer les chiffres pour une structure donnée. C’est donc, entre autres, en faisant connaître le répertoire des compositrices aux jeunes interprètes que l’on peut espérer le voir intégrer les futures programmations.

Plus largement, je pense qu’il est important d’apprendre à cette jeune génération à lire du nouveau répertoire, c’est-à-dire à déchiffrer des partitions sans jamais avoir entendu les œuvres.

 

Un mot sur Nadia et Lili Boulanger (nom de la promotion 2024/2025 des Jeunes Talents) ?

Leurs carrières ont été radicalement différentes, et les résumer en quelques lignes est impossible ! Dans notre étude, Lili Boulanger est la première compositrice la plus jouée en nombre d’œuvres, Nadia se classant en cinquième position. Hormis la qualité indéniable de leur musique, le formidable travail de promotion des œuvres de Lili entrepris par Nadia et la recherche particulièrement prolixe sur ces deux compositrices ont sûrement contribué à leur renommée.

Un dernier détail sur Nadia Boulanger : outre les compositeurs célèbres qu’elle a accompagnés, elle a aussi été une sorte de mentor pour de très nombreuses compositrices, tissant avec certaines d’entre elles, comme Marcelle de Manziarly par exemple, un véritable compagnonnage. Le temps qu’elle a consacré à conseiller de jeunes musiciennes et à promouvoir leur travail est à mon sens un bel exemple de sororité.

Merci infiniment à Héloïse Luzzati pour le temps qu’elle nous a consacré et pour ses réponses riches d’enseignements !

Retrouvez Elles – Women Composers et La Boîte à Pépite :

Soir d’hiver : les compositrices à l’honneur

Vendredi 20 décembre à 20h, l’Auditorium de La Seine Musicale accueillera les Jeunes Talents de la promotion « Lili et Nadia Boulanger » de l’Académie Musicale Philippe Jaroussky, accompagnés de leurs professeurs, pour un concert unique célébrant les compositrices de musique classique.

Avec Philippe Jaroussky (contre-ténor), Anne Gastinel (violoncelliste), Nemanja Radulovic (violoniste) et Cédric Tiberghien (pianiste).

Retrouvez le programme ici

 

Crédits 📸 : Capucine de Chocqueuse, Amandine Lauriol