Quels sont les enjeux de votre démarche ? Quels en sont aussi les défis ?
Nous avons publié il y a quelques mois une étude portant sur toute la saison 2022-2023, qui compile les programmations de quasi toutes les salles de concert et festivals en France. Nous avons grâce à cette étude que seules 6,4 % des œuvres de musique classique programmées en rance sont composées par des femmes. En temps de programmation, le chiffre chute à 4 %.
Notre principal enjeu est donc de faire évoluer les programmations pour qu’elles incluent davantage de compositrices, car ces chiffres ne rendent pas justice à la richesse du répertoire existant.
L’Association a pour mission d’identifier et de diffuser ce répertoire, donc à la fois d’élargir le corpus des œuvres connues de compositrices et de les faire jouer, soit dans le cadre de nos propres actions, soit dans le cadre de la saison de nos partenaires. Aujourd’hui, l’un de nos principaux objectifs est donc de trouver de nouveaux partenaires afin de faire changer les chiffres.
Quant aux défis, ils sont nombreux ! Il y a bien sûr la difficulté de convaincre de la qualité d’œuvres qui n’ont jamais été enregistrées, et qu’on ne peut donc pas écouter… Pour cela, nous organisons des séances de lectures qui nous permettent d’entendre les œuvres pour la première fois (parfois même sur manuscrit, à deux pianos pour le répertoire symphonique) !
Un autre de nos principaux challenges est de susciter l’intérêt des spectateurs avec des noms inconnus sur les programmes de concert. Dans certains cas, comme au Festival, qui a lieu dans le Val d’Oise dans des territoires parfois très ruraux, cela peut être compliqué. Et de la même manière, les programmateurs sont parfois réticents à inclure dans leur saison des œuvres méconnues, car ils ont peur de ne pas remplir leur salle.
Mais notre principal défi demeure la question des financements. Le projet s’est monté grâce à du travail bénévole, avec de très longues journées et beaucoup de débrouille, mais j’aimerais aujourd’hui que nous puissions être mieux soutenus, avec des financements transversaux et structurants ! C’est important pour pouvoir construire une équipe – nous avons pour l’instant seulement une personne en CDI – et pouvoir se projeter à long terme.
Comment a été accueillie votre association et sa démarche ?
J’ai eu la chance d’être rapidement bien soutenue par les pouvoirs publics, notamment par la DRAC Île-de-France dès le lancement du Festival. Il y avait alors de l’espace pour créer quelque chose de nouveau, la plupart des structures étant à l’arrêt.
Les musiciens et programmateurs curieux et ouverts d’esprit sont souvent enthousiastes par ce que nous proposons : nous recevons des demandes du monde entier de gens qui demandent des partitions, ou des témoignages d’engouement pour les vidéos ou les disques… En ayant un niveau d’exigence très élevé quant aux œuvres que nous programmons – ne jamais programmer une œuvre parce qu’elle a été composée par une femme, mais parce qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre évincé des programmations car écrit par une femme – et en les confiant aux plus grands interprètes, nous parvenons généralement à convaincre même les plus sceptiques.
Quels sont vos prochains projets ou objectifs ? Nous sommes en ce moment en pleine effervescence de notre Festival digital d’hiver, que nous publions du 1er au 25 décembre sur YouTube et les réseaux sociaux.
Chaque jour, nous proposons une capsule vidéo présentant une œuvre de compositrice et, particularité de cette nouvelle édition, une œuvre d’une femme artiste issue des collections du Musée d’Orsay. Les musiciens sont intégrés directement dans les tableaux, et le résultat est très onirique, avec un lien fort entre musique et peinture !
Ces derniers mois, nous travaillons aussi sur le lancement de notre maison d’édition de partitions. Depuis plusieurs années, nous programmons et jouons régulièrement des œuvres restées à l’état de manuscrits, ou dont les partitions éditées ne sont plus commercialisées.
Remettre les partitions de ces œuvres en vente est indispensable pour permettre à d’autres musiciens de s’en saisir, et ainsi diffuser le répertoire le plus largement possible. C’est également un outil essentiel pour la diffusion aux conservatoires : les professeurs ne feront jamais travailler une œuvre dont la partition ne se trouve pas à la bibliothèque de leur établissement !
Plus largement, la structuration de notre équipe est un travail constant. Nous espérons créer dans les prochains mois deux nouveaux postes en CDI, et accueillir pour la première fois une doctorante dans nos locaux.
Dans votre démarche de recherche rigoureuse, quelle a été pour vous la découverte la plus étonnante ou incroyable ?
Il est difficile d’en choisir une : chaque jour, je fais de nouvelles découvertes, et je ne compte plus les nouveaux noms qui apparaissent sur mon écran. Parfois, je vois apparaître dans un article de journal un nom que je n’ai jamais lu, et je découvre un catalogue de 200 œuvres… Nous sommes très loin de connaître l’étendue du répertoire des compositrices !